Décoloniser la science en Afrique à travers les financements endogènes

Crédit image : Kate Holt/AusAID CC BY 2.0
Crédit image : Kate Holt/AusAID CC BY 2.0

Les chercheurs africains doivent définir eux-mêmes leurs sujets et leurs priorités, pour sortir de la dépendance au reste du monde

Placée sous le thème « One Health », la deuxième Conférence mondiale des journalistes scientifiques qui s’est déroulée à Abidjan en Côte d’Ivoire en juin 2025 a aussi posé à nouveau le débat autour de la décolonisation de la science en Afrique, à travers un panel intitulé « Décolonisation de la science : renforcer la recherche scientifique en Afrique ».

Pour les chercheurs ayant pris part comme panellistes, il faut non seulement penser à décoloniser la science ou la recherche scientifique mais, il faut décoloniser les mentalités.

« Je m’interroge si la science en Afrique a déjà été colonisée ; parce que ceux qu’on considère comme les colons ont eux aussi appris d’autres personnes. C’est plutôt les mentalités qu’il faut décoloniser pour permettre de produire une recherche plus efficace en fonction des circonstances et réalités africaines », affirme Julien Coulibaly-Kalpy, médecin et attaché de recherche à l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire.

Mobiliser des financements endogènes

A sa suite, d’autres chercheurs sur de ce panel de discussions ont reconnu que le passé colonial entache aujourd’hui la recherche scientifique en Afrique au travers des curricula, la langue d’étude, les axes de recherches, ainsi que les normes et règles de la recherche scientifique.

Pour eux, si la science en Afrique semble être colonisée, c’est en grande partie parce qu’elle dépend fortement des financements extérieurs. Pour s’en départir, il faut plusieurs actions intégrées, à commencer par la mobilisation de financements endogènes pour faire progresser la science et la recherche sur le continent.

« Il faut résoudre la question du financement de la recherche en Afrique. Tant qu’on va rester sur l’idée que c’est l’État qui doit tout faire, nous n’allons pas avancer. Il faut qu’on cherche à capter les financements dans nos pays africains, et surtout au niveau du privé. Aujourd’hui, le partenariat public-privé est à la mode. Il faut que les chercheurs aillent vers ces partenariats pour pouvoir capter des financements et avancer », martèle Julien Coulibaly-Kalpy.

En plus du financement privé, ce chercheur invite les États à rehausser leur niveau de financement de la recherche. « En Côte d’Ivoire tout comme dans beaucoup de pays africains, le financement de la recherche est encore en deçà de 1% des produits intérieurs bruts nationaux. Il faut augmenter la marge du financement public de la recherche », exhorte-t-il.

Mais l’indépendance de la recherche scientifique en Afrique passe aussi, selon les chercheurs, par une amélioration significative de la gouvernance.

« Il nous faut une bonne gouvernance, parce qu’aujourd’hui, ça nous fait défaut. On a beaucoup d’instituts de recherche, de centres de formation et de recherche, mais l’Afrique a un problème avec la bonne gouvernance, et je pense qu’il faut aller à la bonne gouvernance pour réussir le pari », indique Michelle Topé Epouse Gueu.

Selon cette enseignante-chercheure de l’Université Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, une bonne gouvernance en Afrique renforcerait la confiance envers les Africains et les solutions proposées par les chercheurs africains seront davantage acceptées.

Rompre avec les priorités imposées

La décolonisation de la recherche scientifique en Afrique, devrait être impulsée par une nouvelle approche intégrant non seulement la mobilisation des financements endogènes mais le développement d’axes de recherche adaptés aux réalités africaines, pour rompre avec les priorités imposées.

« Il faut revoir nos axes de recherche. Il faut faire de la recherche sur ce qui est utile, ce qui nous intéresse et non autour de ce qui nous semble être imposé et/ou qui ne répond pas à nos besoins », martèle Michelle Topé-Gueu.

De l’avis de Mame Penda Ba, rédactrice en chef de la revue « Global Africa », il faut dans cette perspective extirper la colonialité de la connaissance et des recherches. Pour y parvenir, cette chercheure pense qu’il est impérieux de « reformer les écoles et de repenser les manières d’enseigner ».

Ces changements et choix de nouveaux axes de recherches devraient être menés par les chercheurs des universités africaines, selon Célestin Désiré Meledje, enseignant-chercheur à l’Université Nangui Abrogoua d’Abidjan en Côte d’Ivoire.

« La décolonisation de la recherche en Afrique ne doit pas venir des États, mais des universités. Ce sont elles qui doivent initier des choix stratégiques. Lorsqu’elles le feront, les États les suivront, car un État investit là où il y a de la rentabilité. Si une université démontre que ce qu’elle propose est porteur et rentable, l’État l’accompagnera. Les universités doivent donc devenir de véritables centres de stratégie », soutient-il.

Selon ce dernier, « les chercheurs doivent être en mesure d’identifier avec précision les besoins réels des populations, afin de concentrer leurs efforts sur des recherches susceptibles d’apporter des solutions concrètes aux problèmes que rencontrent nos sociétés ».

Communication

De plus, les chercheurs africains devraient de la même manière se départir de leur complexe face aux chercheurs des pays du nord. « Il ne faut pas avoir un complexe d’infériorité face aux chercheurs occidentaux. Il faut pouvoir expliquer aux autres chercheurs que l’Africain a son processus de production des savoirs qui répond aux mieux à ses besoins et réalités », martèle Michelle Topé-Gueu.

Cette dernière estime que le renforcement de la collaboration entre les chercheurs africains de disciplines variées reste aussi un élément important de la dynamique de décolonisation de la science en Afrique.

Pour une indépendance de la science en Afrique, les chercheurs jugent nécessaire un coup de pouce en termes de communication autour des initiatives de recherche.

« Les journalistes sont un grand atout. Si les jeunes rêvent de devenir footballeurs, c’est parce qu’ils ont vu des joueurs réussir. Il en serait de même pour la science. Si on mettait en lumière les chercheurs africains qui réussissent grâce à leur savoir, les jeunes auraient envie de suivre leurs pas. C’est là que les journalistes, surtout scientifiques, jouent un rôle crucial : montrer que la réussite par la science est possible. En ce sens, le travail des journalistes précède même celui de l’État : ils tracent le chemin que les politiques viendront ensuite appuyer », confie Dr Célestin Désiré Meledje.

Pour les chercheurs, les journalistes scientifiques doivent accompagner les chercheurs en vulgarisant les résultats de recherche et en mettant en lumière les avancées scientifiques portées par les Africains.

Charles Essodina Kolou

Cet article a été publié par SciDev.Net

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