La cinquième et dernière nouvelle de l’avenir du bassin du Congo est beaucoup plus ancrée dans le présent que les précédentes et nous emmène de Bamenda à Limbe, au Cameroun.
Je me tenais au bord de l’eau, à l’extrémité de Limbe, et j’avais peur de m’approcher des vagues déchaînées. Comme poursuivant un intrus furieux, elles poussaient avec force vers la côte, emportant avec elles des montagnes de déchets plastiques et industriels, certains locaux, d’autres internationaux, et les déposaient sur les berges. Puis, doucement, elles disparaissaient pour réapparaître plusieurs fois, répétant le même rituel, jusqu’à ce qu’un énorme tas de déchets s’accumule là où il n’y avait rien auparavant. Comment une telle action pouvait-elle être répétée avec la même efficacité, sans aucune forme ni degré de conscience ? Comment était-ce possible ? La mer se nettoyait-elle consciemment ? À voir la façon dont cela se passait, on aurait dit que des mains invisibles balayaient la saleté. Je regardais le monde autour de moi et c’était un mystère qui effrayait mon esprit curieux. J’étais à Limbe, l’une des villes côtières populaires du Cameroun anglophone.
Tout avait commencé par un voyage nocturne depuis les hautes collines des prairies de Bamenda, à travers des arrêts de bus bondés parsemés ici et là le long de la route, avec différents marchands ambulants. Il y avait ceux qui vendaient du soja et ceux qui vendaient du poisson grillé. Tout le monde criait « soja », « poisson grillé », « kola amer » et se bousculait pour monter dans le bus. Et cela se produisait chaque fois que le chauffeur s’arrêtait pour payer un péage, donner un pot-de-vin à un policier ou fumer une cigarette. D’autres fois, il fumait en conduisant, criant au préposé de ramasser l’argent des passagers qu’ils avaient pris au bord de la route et de le lui donner. Tout indiquait qu’ils se méfiaient l’un de l’autre, comme s’ils gardaient un butin.
Certains passagers du bus de 70 places ne pouvaient pas attendre le prochain arrêt. Qu’il s’agisse de pain, de miondo ou de tout autre aliment à mâcher, ils achetaient n’importe quoi. Ceux qui buvaient du jus dans des canettes et des récipients en plastique avaient en commun le réflexe typique de les jeter après usage. Alors que ceux qui mangeaient différentes choses dans des emballages en plastique jetaient les emballages là où ils étaient assis, ceux qui buvaient du jus se levaient doucement et titubaient vers la fenêtre pendant que le véhicule roulait. S’ils se trouvaient près d’une fenêtre qui pouvait s’ouvrir, ils l’ouvraient en grand et jetaient le récipient à l’extérieur. Ce comportement était si courant que je me suis demandais si quelqu’un se souciait des répercussions de tels actes. Les mères qui changeaient leurs enfants avec des couches jetables, et ceux qui vomissaient dans des papiers à cause du mal des transports jetaient leurs déchets par la fenêtre dans les rivières ou dans les buissons. Ajoutez à cela les choux et les épices vertes que les gens avaient achetés à Santa et rangés au-dessus de leur tête dans les casiers, et l’odeur dans la voiture était un mélange complexe indéfinissable.
Lorsque nous arrivions sur des portions de route non goudronnées, les vitres étaient complètement fermées pour empêcher la poussière et la fumée d’entrer. Quand les gens disent qu’il y a un autre enfer après cette vie, je me demande ce que cela signifie exactement pour quelqu’un qui a survécu à la cruauté d’une existence misérable, car il y a aussi le feu de la terre. Même pendant la saison des pluies, lorsqu’il ne pleut pas pendant deux ou trois jours, la route devient poussiéreuse, compte tenu du nombre de véhicules qui la parcourent quotidiennement. Si personne ne s’étouffait, il ne fallait en remercier que Dieu.
Il y avait des chaises en bambou et des bidons vides de vingt litres pour les passagers supplémentaires qui étaient pris au hasard sur la route. Les chaises et les bidons étaient placés dans le couloir de telle sorte qu’il était impossible d’étendre une jambe ou un bras sans gêner son voisin. On aurait été occupé sans relâche pendant tout le trajet si l’on avait pris sur soi de régler toutes les querelles et les insultes dans le bus. Certains passagers étaient tout simplement grossiers sans raison. Si quelqu’un leur souriait, ils fronçaient les sourcils ; si leur voisin leur offrait quelque chose, ils ne refusaient pas, mais le recevaient à contrecœur, comme si quelqu’un leur rendait ce qui leur appartenait. Lorsque le couloir était plein, le conducteur du bus faisait monter d’autres personnes qui se tenaient debout près du marchepied. Certains montaient sans qu’on leur dise qu’ils devraient rester debout. Tant que le bus ne s’arrêtait pas pour les laisser descendre, ils cherchaient où mettre leur tête et leurs pieds jusqu’à ce qu’un autre passager descende et leur laisse une place. Je me demandais comment les gens pouvaient se soucier de leur environnement alors qu’ils ne se souciaient même pas les uns des autres. Comment pouvait-on prendre au sérieux le fait que peupler la terre de plastique était un anathème, alors qu’ils marchaient sur les pieds des autres et ajoutaient des insultes et des querelles à la douleur sans remords ?
Mon voisin ouvrait grand la bouche et bâillait sans gêne. Ses dents étaient couvertes de moreceaux de poisson en décomposition qu’il avait mangé depuis Santa, puis il s’était endormi. Vous pouvez imaginer le mélange des odeurs dans un bus mal ventilé et surpeuplé. Les parents qui avaient payé une place et étaient venus avec deux enfants étaient ceux qui avaient le plus de mal. Quand ils ne se disputaient pas avec leurs voisins, ils s’efforçaient de trouver la position la plus confortable pour s’asseoir.
Avant d’arriver à Limbe, j’avais assisté à toutes sortes de scènes dramatiques sur la route. Mais au moins, c’était un grand soulagement de pouvoir respirer à nouveau de l’air frais. Nous sommes passés devant la tombe d’Alfred Saker, dont nous avions appris à l’école primaire qu’il était l’un des premiers missionnaires à être venu au Cameroun. Mais je ne pouvais plus résister à la vue de cette vaste étendue d’eau.
C’est alors que je me suis arrêté au bord de la mer, à l’extrémité de Limbe, craignant de m’approcher des vagues déchaînées. Les vagues se comportaient comme si elles poursuivaient un intrus furieux, poussant avec force vers la côte des tas de plastiques et de déchets industriels déposés par des habitants et des étrangers sur les berges. Puis, doucement, les vagues disparaissaient pour réapparaître plusieurs fois, répétant le même rituel, jusqu’à ce qu’un énorme tas de déchets s’accumule là où il n’y avait rien auparavant. Et cela m’a fait me demander comment de telles actions pouvaient être répétées avec la même efficacité, sans aucune forme ni degré de conscience. Je me demandais comment cela était possible. La mer se nettoyait-elle consciemment ? À voir la façon dont cela se passait, on aurait dit que des mains invisibles balayaient la saleté de l’océan Atlantique. En regardant le monde autour de moi, c’est devenu un mystère qui effrayait mon esprit curieux.
Et j’ai souhaité pouvoir vivre une vie tranquille, sans poser de questions, sans pensées, comme les arbres de la forêt, inconscient de l’avenir. Mais que peut-on faire avec ce fardeau qu’est l’esprit, dont l’essence même est la curiosité ? Il aurait peut-être mieux valu être une plante, un animal ou toute autre chose qu’un être humain. Me voilà, piégé dans ce cadre. Qui connaît les cicatrices des autres êtres ? Comment des corps physiques considérés comme inanimés et végétaux peuvent-ils contenir une force qui attire ou repousse à distance ? Ces forces occultes sont-elles aussi dépourvues de but, de pensée et mécaniques ? Qui dit qu’elles ne peuvent pas riposter ? Ce karma persistant est-il également le fruit du hasard ?
Ô toi qui es au-delà du plus lointain,
Caché sous les profondeurs les plus épaisses,
Devons-nous nous consoler en sachant que tu enregistres avec attention
Le sable mouvant du bavardage humain ?
Ô nuage caché,
Force de séduction incessante,
Muse charmante d’élévation surhumaine,
Devons-nous être tristes et désolés ?
Existe-t-il un remède à cette mortalité envahissante ?
La mortalité au-delà de l’humanité.
Nous sommes-nous empressés d’achever ce que tu n’as pas commencé ?
Quand tout a commencé,
Comme le coup d’un tonnerre soudain,
Nous entraînant au plus profond de la mémoire du temps,
Quand nous suivions la lumière des éclats de bambou brûlants
Jusqu’aux nids de termites et aux trous de grillons,
Et que nous suivions les sifflements joyeux au sommet des collines
À la recherche de scarabées et de sauterelles vertes,
Animés par les nuits froides, la verdure toujours fraîche,
Nous ne pouvions imaginer que cela deviendrait si terrifiant si vite.Tout ce qui nous reste, ce sont les souvenirs du mélange symphonique des forces de la nature.
Quand nous nous battions pour attraper les mandarines sur les branches des arbres.
Plongeant dans le vert, le rouge, le jaune, les scarabées s’agrippaient aux tiges d’iroko.
Tombant sur une multitude de fruits dans les buissons,
Alertés chaque matin béni par l’annonce d’une journée ensoleillée par les perdrix.
Dans leurs caquètements joyeux alors qu’elles patrouillaient dans les champs verts en jachère,
Ou dans les cris prémonitoires des poules annonçant un jour de pluie.Alors que je parle, nu, transpirant de sang,
Dans des villes désertées et verdoyantes,
Nous avons attendu en vain, dans le mal grandissant,
L’apparition d’un seul scarabée,
Lâchant différents mélanges,
Depuis les boîtes en caoutchouc que nous portions sur le dos,
Vers la terre, notre terre nourricière.
Dites-moi, qu’est-ce qu’être mortel, sinon ?
Alors que ces pensées me traversaient l’esprit, un sommeil léger m’envahit.
Je vis l’avenir. Oui. Il était si clair que je ne pouvais en douter. Je faisais le même voyage, de Bamenda à Limbe.
Toutes les compagnies disposaient d’un agent sanitaire en plus du conducteur du bus. Chaque véhicule était équipé d’une poubelle et toute personne qui mangeait quelque chose pouvait y jeter ses déchets. Des points de collecte des déchets étaient installés à des endroits précis sur la route. À chacun de ces points, le bus s’arrêtait et l’agent sanitaire descendait pour jeter les déchets de manière professionnelle, en séparant les déchets périssables des non périssables. Toutes les entreprises utilisant des produits non périssables étaient tenues par la loi de reverser un pourcentage de leurs revenus à l’entreprise de recyclage qui se chargeait des déchets qu’elles produisaient. C’était un monde complètement différent, un monde vert et propre.
Peu à peu, notre population a pris conscience de l’importance de l’environnement et il faisait bon vivre à Limbe. Il n’y avait plus de dépôts de déchets sur la côte.
Je me suis réveillé en sursaut pour affronter la réalité. Triste ! Comment allions-nous vivre dans le monde de mes rêves ? Comment cela allait-il se passer ? C’est ainsi que je suis parti pour un voyage touristique et que je suis revenu avec une énorme mission ! C’est vrai, l’avenir réserve beaucoup de surprises à chacun d’entre nous !
Stanislaus Fomutar
Ce texte a été rédigé à l’issue de deux ateliers participatifs de prospective sur #CongoBasinFutures et #RoyalAnimalsFutures à Yaoundé, au Cameroun, le samedi 7 septembre 2024. Il a été édité par Nsah Mala et publié par Next Generation Foresight Practitionners.