La ministre de l’Éducation nationale de RDC détaille les mesures prises pour utiliser l’intelligence artificielle à l’école, et pour apprendre aux élèves à la maîtriser
En décembre 2023, à l’occasion de la parution de l’Indice de préparation des gouvernements à l’IA (Oxford Insights), je publiais un article intitulé « IA et RDC : vers une préparation optimale » qui interrogeait les leviers à mobiliser pour faire progresser la République Démocratique du Congo, classée alors 185ᵉ au niveau mondial. Mon analyse s’appuyait sur les trois piliers structurants de cet indice : la capacité gouvernementale, le dynamisme du secteur technologique, et la qualité des infrastructures et des données.
Je concluais en appelant à un engagement stratégique : fixer des objectifs clairs pour l’intégration de l’IA dans les services publics, bâtir un cadre réglementaire robuste, introduire des formations dédiées dans nos écoles et universités, outiller nos fonctionnaires, renforcer la connectivité et les infrastructures numériques, encourager l’innovation locale, et promouvoir des pratiques éthiques et responsables en matière de données.
Aujourd’hui, deux publications majeures viennent renouveler cette réflexion : l’Indice 2024 de préparation des gouvernements à l’IA (Government AI Readiness Index 2024) récemment diffusé par Oxford Insights, et le tout nouveau Rapport d’évaluation de la préparation à l’intelligence artificielle en République Démocratique du Congo (version 2.0), produit par l’UNESCO RDC en collaboration avec le Ministère des Postes, Télécommunications et Numérique. C’est le moment d’actualiser notre analyse et de tracer des perspectives ambitieuses pour l’avenir de l’IA en éducation.
Quelle est la position actuelle de la RDC dans la course mondiale à l’IA ?
Entre 2023 et 2024, la position de la RDC dans l’Indice de préparation des gouvernements à l’IA est restée (malheureusement ou heureusement) stable au 185ᵉ rang mondial (sur 188). Les détails révèlent des dynamiques contrastées : légères baisses en capacité gouvernementale (17,96) et secteur technologique (15,99), mais progression sur les infrastructures et données (32,34).
Ces avancées traduisent un développement progressif de la connectivité et des capacités de gestion des données, en dépit de freins persistants liés à l’absence de stratégie nationale IA et au faible soutien à l’innovation.
Le Rapport d’évaluation de la préparation à l’IA en RDC (version 2.0), publié par l’UNESCO RDC et le Ministère des Postes, Télécommunications et Numérique, souligne ces tendances : prise de conscience institutionnelle croissante, mais absence de stratégie nationale formalisée, cadre juridique en structuration (Code du Numérique), faiblesses en formation des talents et inclusion numérique, progrès partiels sur les infrastructures. Il recommande de structurer les actions autour de trois piliers : gouvernance, développement du capital humain, industrialisation.
Dans ce contexte, le système éducatif joue un rôle clé. Il doit être au cœur de la dynamique nationale pour développer les compétences indispensables et contribuer à l’amélioration de la préparation du pays à l’IA.
Comment le système éducatif prépare-t-il nos jeunes aux technologies de demain ?
Le système éducatif congolais n’est pas resté à la traîne. Bien au contraire : ces dernières années, le Ministère de l’Éducation Nationale et Nouvelle Citoyenneté a engagé des réformes structurantes pour ancrer les technologies numériques et l’innovation dans les parcours de formation, et amorcer ainsi la montée en compétence indispensable pour l’IA.
Le Plan Quinquennal 2024–2029 incarne cette ambition. Plus qu’une simple feuille de route, il fait des TIC et de l’innovation numérique des leviers fondamentaux pour la modernisation de notre système éducatif. Parmi ses axes clés figurent le renforcement des capacités de l’administration et des enseignants, l’enrichissement des curricula et l’adaptation des contenus aux exigences du XXIᵉ siècle.
Des fondations importantes ont déjà été posées sous l’impulsion du Projet d’Éducation pour la Qualité et la Pertinence des Enseignements aux niveaux Secondaire et Universitaire (PEQPESU) (2016–2021), qui a permis de moderniser les programmes de mathématiques, de physique, de technologies et de TIC — avec une introduction progressive de l’algorithmique et de la pensée computationnelle dès la 8ᵉ année de l’éducation de base. Ces contenus, loin d’être symboliques, préparent les élèves à l’univers conceptuel des algorithmes, du codage et des logiques de traitement des données, socles essentiels pour la maîtrise future de l’IA.
Avec plus de 10 584 ordinateurs distribués et l’expérience pilote du tuteur virtuel Maths-Whizz, premier déploiement d’un outil d’apprentissage adaptatif basé sur l’IA dans les écoles congolaises (2019–2021), le système éducatif dispose des premières briques concrètes.
Les projets en cours (notamment le Projet d’Apprentissage et d’Autonomisation des Filles (PAAF) (2023-2028)) poursuivent cet effort. Le déploiement dans les prochains mois de 388 SMART Labs (Laboratoires intelligents) dans cinq provinces (les trois Kasaï, l’Ituri et le Sud-Kivu), complété par la dotation en équipements numériques dans près de 5 700 écoles secondaires, vise à créer des environnements favorables aux usages pédagogiques avancés.
Le contexte évolue rapidement. La récente disponibilité de Starlink en République Démocratique du Congo ouvre de nouvelles perspectives pour améliorer la connectivité dans les établissements scolaires, en particulier en milieu rural. Le Ministère étudie activement les modalités d’intégration de ces solutions satellitaires dans les projets en cours, afin de renforcer l’accès à l’enseignement numérique pour tous.
L’enseignement à distance (EAD) constitue ainsi un autre levier majeur. Les arrêtés ministériels récemment adoptés — sur l’organisation de l’EAD, la délivrance électronique des diplômes (E-DIPLOME) et la modernisation de l’Examen d’État — traduisent une reconnaissance institutionnelle forte de l’importance du numérique dans les parcours éducatifs. L’objectif est d’habituer élèves et enseignants aux environnements numériques afin de préparer le terrain pour l’intégration d’outils basés sur l’IA : tuteurs virtuels intelligents, systèmes d’analyse des données d’apprentissage ou encore assistants pédagogiques adaptatifs.
Du renouveau curriculaire à l’équipement des écoles, ces initiatives participent à réduire les écarts soulignés par les rapports internationaux et préparent les bases d’un système éducatif résolument tourné vers l’IA.
Quelle trajectoire pour l’éducation congolaise à l’horizon 2029 ?
Face aux constats posés par le Rapport d’évaluation de la préparation à l’IA en RDC et l’Indice 2024, le Ministère de l’Éducation Nationale et Nouvelle Citoyenneté inscrit son action dans une dynamique claire : renforcer les capacités du système éducatif afin de contribuer, par le levier des compétences, à l’amélioration du positionnement de la RDC d’ici 2029.
Le Plan Quinquennal 2024–2029 définit à cet effet des priorités convergentes avec les piliers de l’indice : développement du capital humain, modernisation des infrastructures, adaptation des curricula. À l’horizon 2029, l’objectif réaliste est d’intégrer des modules relatifs à l’intelligence artificielle (concepts fondamentaux, enjeux éthiques, usages) dans les programmes, et de former les premières cohortes d’enseignants et d’inspecteurs dans les provinces pilotes.
Parallèlement, l’extension de la couverture numérique des établissements, le déploiement des SMART Labs et la montée en puissance de la plateforme numérique ministérielle créeront les conditions pour mener des expérimentations pédagogiques autour de l’IA. Ces progrès devraient contribuer à renforcer le pilier « infrastructures et données » de l’indice.
L’élaboration d’une stratégie nationale IA intégrant un volet éducatif sera, dans cette perspective, un levier majeur pour consolider la capacité gouvernementale.
Les investissements engagés pourraient jouer un rôle de catalyseur, à condition d’être accompagnés d’une stratégie active de diffusion des bonnes pratiques. Si des communautés éducatives dynamiques se structurent autour des pôles pilotes, l’usage d’outils avancés pourrait progressivement se diffuser, renforçant le pilotage stratégique de la qualité éducative.
La trajectoire reste ambitieuse mais repose sur des étapes consolidantes : renforcement des compétences, structuration d’un cadre éthique et stratégique, puis déploiement maîtrisé des usages avancés de l’IA. En suivant cette démarche, notre système éducatif pourra contribuer, dès le prochain cycle d’évaluation, à améliorer significativement la préparation du pays à l’intelligence artificielle.
Nous sommes l’éducation nationale, nous préparons l’avenir de nos enfants, nous construisons la nation.
Raïssa Malu, MinETAT EDU-NC
Cet article a été publié sur LinkeIn. Il est reproduit avec l’autorisation de l’auteur.