Yaoundé 2085

Illustration par Edwin Njini Yuh
Illustration par Edwin Njini Yuh

Pour la deuxième nouvelle sur l’avenir du bassin du Congo, nous retournons à Yaoundé

Alors que je conduisais vers la capitale du Cameroun, Yaoundé, je me battais avec ces pensées. J’avais passé une semaine entière avec ma famille à Kribi, mais il était temps pour moi de rentrer à la capitale. Les vacances, c’est bien, mais il nous fallait de l’argent pour se les permettre, et pour gagner de l’argent, il faut travailler dur. C’est la règle d’or de la vie. Malheureusement, de nos jours, nous devons travailler encore plus dur. Mes enfants, Awasum et Manga, étaient réticents à rentrer avec moi ; je les avais donc laissés rester deux semaines de plus. Seule Epolle était assez intrépide pour rentrer à Yaoundé avec moi. Mais la ville n’est plus ce qu’elle était autrefois. Plus nous nous en rapprochions, plus nous pouvions ressentir la chaleur oppressante. 

Malheureusement, la climatisation de notre voiture était endommagée ; nous devions donc ouvrir toutes les fenêtres en conduisant. Honnêtement, si j’avais pu, j’aurais retiré le pare-brise pour obtenir un peu de répit face à la chaleur oppressante. 

Le paradoxe de la chaleur, c’est qu’elle affecte nos choix de vêtements. Quand ils sont confrontés à de basses températures, les gens ont tendance à s’emmitoufler dans des pulls, des petites laines et des écharpes. Et face à des températures élevées, nous voulons être le plus léger et aéré possible, avec des t-shirts à manches courtes, des shorts, des robes et des jupes. Et pourtant, quand elles augmentent encore plus, nous nous comportons comme dans un environnement froid, et nous nous couvrons pour essayer de protéger notre peau. 

J’ai longtemps pensé aux habits traditionnels des peuples dans les régions désertiques, comme les Arabes et les Touaregs. Je m’étais d’abord dit qu’ils étaient simplement influencés par la religion, mais la vie à Yaoundé en 2085 me montre que c’est plus que cela. Ma femme m’a demandé, sur le ton de la rigolade mais avec une pointe de désespoir : “Est-ce que la Terre tourne toujours autour du Soleil ? On dirait que notre pays s’en est rapproché !”. Sa question n’était pas scientifique ; la chaleur peut faire dire des choses plutôt insensées aux gens. 

En entrant dans la ville, nous avons vu un énorme panneau indiquant « Bienvenue à Yaoundé ! ». « Malvenue, oui », plaisanta ma femme, nous faisant éclater de rire. Dans les zones urbaines, il y a des règles à respecter ; nous ne pouvions pas librement conduire sur les routes ouvertes. Cela signifia que nous commençions à sentir l’entière étendue de la chaleur de la ville nous envelopper. En plus, immédiatement après être entrés dans le quartier de Mvan, une tempête de sable soudaine nous a atteint, nous obligeant à nous garer pendant un instant. Après le passage de la tempête, nous avons décidé de nous arrêter pour des rafraîchissements dans un endroit cher à mon cœur. Pas seulement car ils faisaient les meilleurs sandwichs de la ville, mais aussi parce que j’y avais travaillé quand j’étais étudiant.

L’échoppe avait énormément changé par rapport à mes souvenirs adolescents. Plusieurs aménagements avaient été faits, et elle semblait assez différente désormais. À côté du bâtiment, une imposante éolienne, de celles dont j’avais seulement entendu parler dans les livres et vus dans les films. Les éoliennes sont d’habitudes construites dans des endroits très venteux ; c’était très surprenant d’en voir une à Yaoundé. La grande éolienne tournait lentement, comme un ventilateur endommagé, mais elle semblait générer assez de puissance. 

Il y avait eu des débats sur la nécessité des éoliennes, et quelques théoriciens du complot avaient accusé le Rotary Club de créer des « sanctuaires » dans la ville. Cependant, l’opinion générale était que les vents constants de Yaoundé ne devaient pas rester inutilisés. 

En entrant dans le restaurant, nous pouvions ressentir la brise rafraîchissante qui le parcourait. Personnellement, je n’étais pas friand de climatisation. En effet, les autorités médicales du Cameroun avaient observé une hausse significative des cas de grippe et de COVID-19 ces dernières années. C’était assez étonnant ; nombreux s’étaient dit que le climat chaud empêcherait la propagation de ce genre de maladies respiratoires. 

Des recherches supplémentaires ont démontré que les citadins passaient beaucoup de temps dans des environnements climatisés : à la maison, à l’école, au travail et dans des voitures. Cette sur-dépendance avait un impact négatif sur la santé publique. En essayant d’améliorer les conditions de vie, parfois, les efforts des hommes peuvent se retourner contre eux, et devenir plus dangereux, autant pour l’homme que pour l’environnement. 

Alors que je m’asseyais face à ma femme, je reconnus un visage familier à la télévision : le capitaine de notre équipe de football nationale, les Lions indomptables du Cameroon. Il tenait une conférence de presse avant le match de demain, à 21 heures. Comme le Cameroun n’avait pas les moyens de construire des stades climatisés, tous les matchs officiels de l’équipe nationale devaient être joués de nuit, pour accommoder les joueurs habitués aux stades climatisés des club européens. Sans cet arrangement, beaucoup des meilleurs joueurs camerounais n’auraient pas été autorisés à représenter leur pays par leurs clubs européens réticents. 

J’ai ramassé le menu pour commander mon repas. Normalement, j’aurais opté pour du poisson rôti, mais les conditions au Cameroun l’avaient rendu rare et bien trop cher, comme le caviar. J’ai donc jeté mon dévolu sur du poulet à la place. La différence de prix n’était pas significative, mais la mauvaise qualité du poisson disponible avait rendu le poulet un choix bien plus appétissant. On avait trop joué avec l’océan !

Alors que j’attendais mon plat en regardant la télévision, un flash d’information apparut en bas de l’écran, Il rapportait que le Cameroun souffrait d’une sécheresse sévère, qui impactait le secteur agricole. De ce fait, le pays allait devoir commencer à importer du poulet et des œufs, entraînant une hausse drastique des prix de la volaille dans les mois à venir. 

J’ai fixé l’écran, consterné, et ai vite remarqué l’agitation qui se propageait dans le restaurant. Les gens prennaient leurs téléphones, partageant la nouvelle avec des airs inquiets. Ma femme me montra un post Whatsapp partageant la même information. Tout autour, j’entendis des gens s’exclamer, frustrés, « Weeeey, ce pays! », et même « Seigneur Jésus, reviens ! »

Quand la serveuse apporta nos repas, je sus que cela pourrait être une des dernières fois que je pouvais me permettre de manger du poulet avant un certain temps. Le changement climatique ne manquait pas de surprise pour nous, au Cameroun et dans le bassin du Congo! 

Curtis Kack

Ce texte a été rédigé à l’issue de deux ateliers participatifs de prospective sur #CongoBasinFutures et #RoyalAnimalsFutures à Yaoundé, au Cameroun, le samedi 7 septembre 2024. Il a été édité par Nsah Mala et publié par Next Generation Foresight Practitionners. Il a été traduit en français par Célien Fusillier pour Afriscitech.

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