Maladie du sommeil : enfin un traitement sûr pour l’Afrique de l’est

La trypanosomiase humaine africaine est liée à l’action d’un parasite inoculé par la piqure d’insectes hématophages (photo : IRD - Michel Dukhan)
La trypanosomiase humaine africaine est liée à l’action d’un parasite inoculé par la piqure d’insectes hématophages (photo : IRD – Michel Dukhan)

Une nouvelle molécule, sans risques démesurés pour la santé des patients, permet de traiter la forme à évolution rapide de la maladie du sommeil

Transmise par la fameuse mouche tsé-tsé, la maladie du sommeil constitue toujours un danger mortel si elle n’est pas traitée à temps. Mais en plus, le médicament utilisé jusqu’à présent pour lutter contre le stade aigu de cette infection parasitaire provoquait la mort de 5 à 10 % des patients en raison d’effets indésirables violents. La découverte d’une molécule vient rebattre les cartes : les recherches ont montré qu’elle est efficace et sans danger sur toutes les formes et tous les stades de la maladie.

« Des essais cliniques auxquels nous avons contribué viennent d’établir que le fexinidazole soigne le stade neurologique de la trypanosomiase humaine rhodésienne, mais sans provoquer d’accidents thérapeutiques comme c’était trop souvent le cas avec le mélarsoprol l. Ces travaux ont guidé les nouvelles recommandations thérapeutiques que vient d’édicter l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) », indique Veerle Lejon, biochimiste IRD au sein du laboratoire INTERTRYP.

Deux stades, deux formes

La trypanosomiase humaine africaine, aussi appelée maladie du sommeil en raison des somnolences incontrôlables caractéristiques de son évolution, est liée à l’action d’un parasite inoculé par la piqure d’insectes hématophages. Elle évolue en deux stades : d’abord une infection du sang, de la lymphe et des tissus, puis une atteinte du système nerveux central qui entraîne de graves troubles neurologiques et psychiatriques lorsque le parasite franchit la barrière hémato-encéphalique. Sans soins, le malade plonge dans le coma et finit par mourir.

Deux formes distinctes de trypanosomiase humaine africaine sévissent sur le continent : l’une en Afrique de l’Ouest et centrale, associée au parasite Trypanosoma gambiense. Elle connait une évolution lente, où les malades succombent au bout de plusieurs années s’ils ne sont pas traités. Elle a dévasté ces régions au début du XXe siècle, provoquant la mort de millions de personnes avant la découverte de traitements et la mise en place de vastes campagnes sanitaires.

L’autre forme, qui sévit en Afrique de l’Est, est causée par Trypanosoma rhodesiense. Son évolution est beaucoup plus rapide : sans soins appropriés, les patients sont emportés en quelques semaines seulement, et d’autant plus vite s’ils ne proviennent pas d’une zone d’endémie de la maladie, comme les touristes. Heureusement, cette forme est surtout animale, touchant essentiellement la faune sauvage et le bétail, et affecte peu d’humains.

« La trypanosomiase humaine rhodésienne est une maladie grave et rapidement évolutive, qui peut toucher tous les organes et nécessite un diagnostic et un traitement urgents. Elle est souvent mal diagnostiquée, confondue avec le paludisme, au préjudice des patients », indique Lucille Blumberg, spécialiste des maladies infectieuses aux universités de Stellenbosch et de Pretoria en Afrique du Sud.

Il n’y a aucun cas local de trypanosomiase humaine en Afrique du Sud, mais on y soigne des patients infectés par Trypanosoma rhodesiense au Zimbabwe, en Zambie et au Malawi, principalement des touristes ou des professionnels tels que chasseurs, gestionnaires de faune, écologistes et scientifiques. Globalement, le nombre de personnes infectées chaque année est très faible.

Renouvellement de l’arsenal thérapeutique

Jusqu’à récemment, les traitements disponibles étaient complexes et contraignants. Pour le premier stade, lorsque le parasite est encore au niveau du sang, de la lymphe et des tissus, il fallait recourir à des molécules injectables par voie intraveineuse ou intramusculaire. Et comme ces molécules ne franchissent pas la barrière hémato-encéphalique, pour lutter contre le second stade de la maladie, une ponction lombaire – un examen particulièrement désagréable – était nécessaire pour déterminer s’il fallait employer le traitement de première ou seconde ligne. Celui-ci reposait sur le mélarsoprol, une molécule développée dans les années 1940, également administrée par voie intraveineuse, et qui présente l’inconvénient de provoquer une encéphalite fatale chez près d’un patient sur dix.

Récemment, une nouvelle molécule est venue révolutionner la prise en charge de la trypanosomiase. Le fexinidazole est en effet administrable par voie orale, provoque peu d’effets indésirables et, surtout, est efficace contre les deux stades de la maladie. Ce faisant, il dispense de ponction lombaire. Il a d’ores et déjà été évalué, et adopté dans les recommandations de l’OMS depuis quelques années, pour le traitement de la trypanosomiase à T. gambiense qui sévit en Afrique de l’Ouest et centrale.

Son efficacité et sa bonne tolérance face à T. rhodesiense restaient à établir. C’est chose faite. Un essai clinique mené sur 46 patients du Malawi et d’Ouganda – pour lequel l’IRD a assuré la formation des personnels de santé – a permis de s’en assurer : l’OMS recommande désormais son utilisation à la place de la suramine et du mélarsoprol pour traiter les deux stades de cette forme de la maladie.

« L’introduction du fexinidazole oral représente un progrès significatif dans la prise en charge de la trypanosomiase humaine africaine rhodésienne, compte tenu des réactions qui existaient avec le mélarsoprol », conclut Veerle Lejon, qui a également contribué à la rédaction des recommandations de l’OMS.

Olivier Blot

Cet article a été publié par IRD le Mag’

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